Interview de Jean-Luc PIRENET, bibliothécaire à Fontenay-sous-Bois
« Maintenir l’exigence de collections encyclopédiques pour pouvoir satisfaire toutes les curiosités »
De la collection de documents à la médiation culturelle, le métier de bibliothécaire endosse un large éventail de missions sociales et culturelles. En près de 40 ans de carrière, Jean-Luc Pirenet, bibliothécaire retraité à la ville de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), a vu évoluer son métier. Il nous raconte.
Comment pourriez-vous définir le rôle du bibliothécaire ?
À la différence du libraire, le bibliothécaire s’inscrit dans un temps long de constitution d’une collection. Il doit donc définir ce que doit être une bibliothèque. Mais il a aussi un rôle de médiation culturelle. L’idée de médiation culturelle est d’aller au-devant du public de manière proactive, comme on le voit aujourd’hui avec les « bibliothèques hors les murs ». Sur Fontenay, on avait initié l’idée avec un triporteur : ma collègue allait dans les quartiers partager ses lectures. On circulait aussi avec un « bibliobus ». Ce sont des pratiques qui permettent d’aller au plus près de ceux qui sont le plus éloignés du livre. C’est une priorité sociale.
Votre métier s’adapte-t-il en fonction du public et de la localisation de la bibliothèque ?
Lorsque j’ai commencé, en 1981, l’idée était qu’il y avait le public indifférencié, et non les publics. Il y a eu une évolution significative : désormais, on cible mieux les besoins de publics particuliers. Mais cette évolution a aussi ses limites. Pour ma part, j’ai toujours considéré mon activité comme devant toucher l’ensemble de la population d’un territoire. Une approche trop segmentée du public justifie la restriction de collections, qui n’ont plus besoin d’être aussi vastes. Le risque est alors que la restriction vers un public ciblé ouvre la porte à une restriction budgétaire. Or, il faut être capable de répondre à tous les besoins, sachant que le public peut évoluer dans ses attentes, y compris les publics les plus éloignés de la lecture ! Il faut maintenir l’exigence de collections encyclopédiques pour pouvoir satisfaire toutes les curiosités, et permettre l’émancipation par la lecture.
L’exigence encyclopédique est-elle difficilement réalisable pour une bibliothèque seule ?
Oui, et c’est pour cette raison qu’on met en commun les fonds documentaires de différentes collectivités. Bien que ce ne soit plus le cas, le Conseil départemental du Val-de-Marne avait été pendant longtemps à l’initiative d’une mise en réseau des bibliothèques. Dans un réseau de « prêts interbibliothèques », telle bibliothèque peut se spécialiser dans tel domaine, et on arrive à faire circuler les fonds. Par exemple, à Champigny-sur-Marne, c’était le cinéma ; à Fontenay-sous-Bois, c’était les partitions de musique ; à l’Haÿ-les-Roses, c’était les arts et traditions populaires, etc. Ce système est aussi pertinent pour la conservation partagée : on réfléchit toujours aux moyens de conserver le plus d’ouvrages possible, même quand ils sont anciens.
Comment voyez-vous l’avenir du métier ?
Je reste optimiste sur l’avenir de la bibliothèque, qui a su s’adapter à l’évolution des pratiques, et saura encore le faire ! J’ai commencé dans un contexte d’élargissement du champ d’intervention des collectivités locales et de l’État dans le domaine de la culture. Aujourd’hui, il existe un « affaissement de l’ambition politique », pour reprendre l’analyse de l’Observatoire des politiques culturelles (2017), et une réduction des dotations pour les collectivités locales. Mais c’est un métier qui a de beaux jours devant lui. Si internet et les réseaux sociaux facilitent l’accès à l’information, nous avons besoin aujourd’hui d’éclairages et de mise à distance. C’est aussi ce qu’offrent les livres. De ce point de vue, la bibliothèque garde tout son intérêt !